PÉRIGNAC : À LA RECHERCHE DE PÉRIGNAC

Paichel ignore pourquoi ses Maîtres de l’invisible tiennent à l’envoyer accomplir une mission dans un orphelinat où y réside un enfant qui deviendra un jour l’auteur de ses aventures. Il le saura lorsqu’il sera là-bas, mais cela ne l’autorisera pas à dévoiler à ce pensionnaire qu’il est Arkarien d’origine et encore mieux qu’il écrira la Légende d’Arkara. Voici donc : À la recherche de Pérignac.

Un jour de septembre 1955, Fontaimé Denlar Paichel vint visiter la région de l’Outaouais dans le but d’y retrouver l’auteur de ses aventures et celles de son jumeau, Mêléüs. Étrangement, personne ne connaissait cet écrivain puisque lui-même ignorait à l’époque qu’il écrirait un jour la légende d’Arkara. En effet, Paichel aurait dû savoir que cet auteur n’avait que six ans lorsqu’il prit cette initiative d’aller le rencontrer. Notre missionnaire arriva vraiment trop tôt pour dialoguer avec celui que ses Maîtres de l’invisible désignaient par P.E.Garçin, soit l’anagramme parfait de Pérignac. Il perdait donc son temps à rechercher l’auteur qui était trop jeune pour entreprendre l’écriture d’un conte fantastique de cette envergure. Il valait mieux le laisser grandir sans intervenir dans son cheminement.

Notre homme décida tout de même de demeurer dans l’Outaouais lorsqu’il trouva du travail dans un petit cimetière des environs. Puis, cette région était déjà connu sur Arkara depuis que le Maître Kanapyra y séjourna à l’époque où la mer Champlain occupait encore une grande partie de cette vallée. Ce qu’on ignore, c’est que Kanapyra ou c’est-à-dire, Kana, traversa l’Outaouais en compagnie d’un sage Incas appelé “ Quésacol ,” qui mourut d’ailleurs à cet endroit. Sa dépouille se trouvait quelque part au sommet d’un promontoire qui portait à présent le nom de Belvédère Champlain. Par respect envers l’accompagnateur de Kanapyra, le missionnaire décida d’y monter afin d’admirer la vallée. Son intention n’était pas de retrouver l’endroit exact où reposait Quésacol depuis des milliers d’années puisque cela ne l’intéressait pas de le savoir. Lorsqu’on est un voyageur de l’Intemporel, il est plus intéressant de rechercher des êtres vivants que des souvenirs et des squelettes. Ainsi, un matin d’automne, Paichel passa des heures à se promener sur le belvédère en méditant. Étrangement, une voix se fit entendre près d’un rocher recouvert d’arbustes. On aurait dit qu’elle provenait de l’intérieur de cette énorme pierre en forme de lune.

- Tu es Arkarien, n’est-ce pas?

- Quelle est cette mystérieuse voix que j’entends, bonne conscience?, se demanda Paichel qui avait l’habitude d’entendre sa conscience lui adresser la parole.

- Écoute-là, lui répondit celle-ci sans hésiter. Cette voix est celle de Quésacol.

- Oui, je suis l’esprit de Quésacol et toi, tu es Mercéür pour ceux qui te connaissent comme Arkarien. Je sais que tu accomplis des missions pour tes Maîtres de l’invisible depuis ton incarnation au moyen âge. Écoute bien ce que je vais te révéler à présent que tu viens de t’établir sur l’ancienne terre des Atlantes. Kanaypra et moi-même recherchions la colonie atlante dans une contrée qui porte aujourd’hui le nom de Québec. J’ignore si mon compagnon est parvenu à la trouver avant de poursuivre sa route à travers le monde. Car, vois-tu, cette colonie possédait une carte qui indiquait l’endroit exact où le cristal était le plus pur de la planète. En réalité, ce sont des fragments de ton ancienne planète qu’on voulait récupérer puisqu’ils contenaient des parcelles du mont Bellapar. Un tel trésor valait la peine d’envoyer une délégation de l’Atlantide en Amérique du Nord afin d’empêcher la secte d’Alba de s’en emparer avant elle.

- Ces fragments contenaient les énergies des Grands-Maîtres du mont Bellapar?

- Exactement, Paichel. Ces pierres de cristal pouvaient devenir de puissants glaçons, semblables à ceux que détenaient les Grands-Prêtres de la fantastique Arkara. C’est pour cela que Kanapyra me demanda de l’accompagner en Amérique du Nord dans le but de les récupérer au plus vite. Mais les dirigeants de la cité de Mu préféraient mettre leur énergie à reprendre la grande pierre ronde des habitants de la presqu’île au lieu de rechercher les véritables morceaux de l’ancienne planète qui conservaient encore les énergies d’Arkara.

- La colonie Atlante n’a jamais retrouvé ces fragments avant la fin de l’Atlantide, n’est-ce pas?

- Je pense qu’elle n’a jamais découvert un seul fragment avant de disparaître de l’histoire du monde. Les membres de cette colonie se sont finalement installés sur les côtes du Labrador pour ensuite adopter les moeurs et coutumes des pêcheurs de ce littoral.

Le missionnaire lui répondit sans attendre :

- En somme, le Québec conserve jalousement les énergies de notre ancienne planète?

- Disons simplement qu’il est possible que les fragments soient découverts un jour lorsque d’importants séismes transformeront la géographie du Québec. Par contre, la secte d’Alba fait de constantes recherches dans l’Outaouais en espérant y retrouver des fragments de cristal. Puis, aussi bien t’en avertir, elle songe sérieusement à y établir une commune prochainement.

- Et pour quels motifs exactement?

- Elle voudrait y cacher d’anciens nazis qui furent à son service au cours de la dernière guerre mondiale. C’est à toi d’ouvrir l’oeil et d’agir en conséquence pour éviter qu’une telle secte nuise aux habitants de cette vallée. Je dois également t’aviser que le sinistre Alba voudrait bien interdire qu’on écrive la légende de ton ancien monde pour éviter d’être cité dans cette longue histoire.

- Ainsi, Pérignac risque d’avoir des ennuis avec cette secte?

- Rassures-toi, les Maîtres de l’invisible veillent sur lui depuis sa naissance. Il écrira ce conte pour les habitants du troisième millénaire. S’il s’est incarné au Québec, c’était justement pour capter les énergies de ces cristaux dont je parlais. Personne n’est encore parvenu à les retrouver, mais Pérignac en sera tout de même nourri pour écrire la légende d’Arkara.

- Ta voix devient difficile à entendre, dit alors Paichel sans trop s’en étonner.

- C’est que je dois à présent retourner dans le monde de paix jusqu’au moment où je serai appelé à retourner sur la nouvelle Arkara.

- Quel était ton nom Arkarien?

- J’étais l’un des ouvriers du vaste verger d’Atlantis.

Paichel fut incapable de se souvenir de celui-ci puisqu’il existait à cette époque pas moins de cinq mille ouvriers qui travaillaient pour le seigneur Alba. Quésacol était une autre âme qui devait s’incarner sur Terre pour y apprendre des leçons d’amour comme tous les autres fautifs. Le missionnaire retourna ensuite au cimetière Notre-Dame pour y débuter sa journée de travail. Il était devenu fossoyeur et même gardien. En effet, toutes sortes de chiens errants rôdaient régulièrement dans ce jardin des morts à la recherche de gros os. Paichel avait justement comme travail de déterrer d’anciennes fosses pour y sortir les squelettes de défunts inconnus. Comme plus personne ne payait pour entretenir ces tombes, la direction décida de créer une fosse commune où tous les cadavres inconnus allaient devoir se partager le même lopin de terre. Les chiens profitaient donc des circonstances pour se sauver avec quelques os qui jonchaient le sol au cours du travail du fossoyeur.

- Sacré-nom-d’un-chien, s’écria notre homme de désespoir, on vient de me voler un autre fémur. Ces chiens sont vraiment plus rusés que les renards, ma parole!

- Ce fémur était le mien, lui dit un fantôme au regard menaçant. Tu devrais laisser ma dépouille tranquille avant que je te dépouille de la tienne.

- Je fais mon travail, même si tu crois que je profane ta tombe anonyme. Si tu peux me donner le nom de la personne qui devait défrayer les coûts de ton humble fosse, je vais aussitôt en avertir la direction pour qu’elle la contacte.

Le fantôme maugréa des injures en baissant les yeux. Cet ancien criminel fut pendu et enterré dans ce cimetière aux frais de l’État. Par conséquent, ce morceau de terrain retourna bientôt aux responsables du cimetière lorsque le gouvernement cessa d’en payer la location.

- Je suis mort, ragea l’assassin d’une pauvre femme qui fut malheureusement son épouse. On devrait respecter ma sépulture même si personne ne désire payer pour entretenir mon lot. Lorsque j’étais vivant, j’ai massacré un maudit propriétaire qui voulait m’évincer de mon logis.

- Oh, il est facile d’imaginer que tu n’étais pas le genre à payer ton loyer, n’est-ce pas?

- Bah, mêle-toi de tes affaires avant que je te prouve que les esprits sont plus forts que les gens en chair et en os.

- Je ne pense pas que tu puisses m’effrayer mon pauvre ami! Tu devrais t’éloigner afin de me laisser travailler en paix.

Le fantôme s’éloigna rapidement dès qu’il vit des sphères lumineuses entourer le missionnaire au sourire moqueur. Il poursuivit donc son travail en chantant. Comme Paichel possédait ce pouvoir de voir et de parler aux esprits, il va sans dire qu’il était régulièrement abordé par ceux-ci au cours de son travail. Il apprit même d’un défunt clochard que des mécontents voulaient le faire traduire devant la cour de justice divine pour oser les déranger dans leur sommeil éternel. Paichel ne pouvait leur en vouloir de manifester leurs frustrations puisque logiquement, tous les morts possèdent les mêmes droits dans un cimetière. Ce sont les vivants qui décident de louer des fosses pour leurs défunts et de les orner de pierres qui témoignent du rang social qui doit encore exister dans le jardin des morts. On n’a qu’à s’y promener pour voir le quartier des riches, de la classe moyenne et des pauvres. Pire encore, on y voit des sections strictement réservés aux défunts de la même race. Ainsi, le racisme existe même après la mort. C’est à croire que les vivants projettent leurs “poux” dans un lieu qui devrait normalement y accueillir ceux qui se sont dépouillés de leurs biens terrestres et des conventions sociales.

Un après-midi, le missionnaire vit une véritable délégation de pauvres gens décédés s’attaquer à une bande de jeunes drogués qui fréquentaient le cimetière pour des raisons évidentes. C’était un endroit tranquille, discret et surtout propice à exciter l’imagination. L’un des garçons parlait des esprits pendant que ses amis fumaient des joints en demeurant assis près des pierres tombales. C’est alors que les esprits invisibles les incitèrent à détruire plusieurs pierres tombales. Les jeunes vandales furent évidemment incapables de deviner la présence de ces fantômes qui voulaient se venger des propriétaires du cimetière en faisant renverser plusieurs monuments. Paichel arriva trop tard pour empêcher ces garnements de suivre les conseils des mauvais esprits. Ils s’amusèrent à renverser une vingtaine de pierres avant de fuir les lieux en riant de leurs méfaits. Les fantômes attendirent que le fossoyeur s’approche pour lui faire voir le joli travail.

- Mais vous n’aviez pas le droit de les inciter à briser ces monuments, gémit le pauvre homme en les pointant d’un doigt réprobateur.

- Et toi, tu n’avais pas le droit de profaner nos dépouilles, lui répondit l’un des esprits.

- Sacré-nom-d’un-chien, croyez-vous que cela me réjouit de devoir accomplir ce travail?

- Et nous alors, crois-tu qu’on trouve juste de nous déloger de nos fosses individuelles pour nous jeter dans un trou collectif ? Est-ce notre faute s’il faut encore payer un loyer pour reposer dans une tombe décente?

- Je suis de votre avis, sauf que vous avez profanés vous-même la quiétude de plusieurs pensionnaires en faisant renverser leurs pierres tombales. Vous ne trouvez pas ridicule de faire la guerre à des vivants qui doivent gagner leur vie pour se nourrir? Vous êtes morts et enterrés!

- Alors, cesse de nous déterrer, lui répondit froidement l’un des fantômes avant de faire signe aux autres de retourner dans leurs trous.

Paichel n’avait vraiment plus envie de poursuivre son travail. Il se sentait tiraillé entre son devoir et son coeur. À vrai dire, il trouvait également injuste de profaner des fosses pour y déloger des pensionnaires inconnus. Il comprenait que les propriétaires désiraient rentabiliser ces lots pour payer leurs employés. Tout de même, il devait exister une solution pour satisfaire les deux parties. Il comprit finalement que l’essentiel n’était pas de sortir les occupants de leurs tombes, mais d’y faire de la place pour accueillir de nouveaux défunts.

La nuit suivante, le missionnaire retira les ossements de l’une des tombes inconnues et la creusa avec sa petite pelle pour lui donner un mètre de profondeur de plus. Puis, après y avoir introduit les os, il les cacha avec de la terre. Ainsi, la tombe paraissait inoccupée puisqu’elle possédait la largeur et profondeur d’une fosse vide. Des fantômes qui assistaient au travail du fossoyeur opinèrent d’un triste signe de la tête en réalisant que cet homme sacrifiait ses heures de sommeil à tenter de dissimuler les os de ces mécontents qui refusaient de se faire ensevelir dans une fosse commune.

- Non, ce pauvre homme va s’épuiser à tenter de satisfaire nos désirs, s’exclama l’un des contestataires ému par la générosité de Paichel. Prions mes frères pour que Dieu lui-même trouve la solution à cette situation injuste envers nous et ce pauvre employé qui faisait simplement son travail en nous délogeant de nos tombes respectives.

- Oui, prions ensemble puisque cet homme voudrait tant nous venir en aide, répondit une ancienne chanteuse de cabaret qui était vraiment mal vue à l’époque où elle s’y produisait.

Le miracle s’accomplit lorsque les fantômes virent leurs squelettes tomber en poussière. Paichel apprit bientôt des occupants de ce jardin des morts que les inconnus pouvaient reposer à présent en paix au fond de leurs anciennes tombes puisqu’ils n’occupaient qu’une mince couche de terre au fond de celles-ci. Plus aucun esprit ne vint ensuite se plaindre au fossoyeur et même les propriétaires crurent que la fosse commune contenait tous les restes des illustres inconnus de ce cimetière.

Paichel se fit demander de restaurer les pierres tombales qui furent victimes des jeunes vandales. Alors qu’il travaillait, une fillette de sept ans vint s’asseoir près de lui pour l’observer en silence. Le jeune fantôme finit par lui dire d’une voix hésitante:

- Moi, je sais où se trouve Pérignac.

- Pardon?

Le missionnaire fixa le spectre lumineux d’un air étonné. Même s’il s’était fait à l’idée de ne plus faire de recherches dans le but de rencontrer le futur auteur de ses aventures, il souhaitait tout de même savoir à quel endroit vivait celui-ci.

- Qui es-tu, gentille ou gentil fantôme?

- Je portais le prénom de Monique avant mon décès. Je suis la soeur de Pérignac. Il avait 4 ans lorsque je suis décédée d’une fièvre rhumatismale. J’ignore s’il se souviendra encore de moi lorsqu’il écrira la légende d’Arkara?

- Je suis convaincu qu’il se souviendra de sa grande soeur, lui répondit le missionnaire en lui souriant. Ainsi, tu sais que je désirais le rencontrer?

- Oui, mon petit frère vit présentement dans un orphelinat d’Ottawa qui porte le nom de Mont St-Joseph.

- Un orphelinat?

- Oui, c’est là qu’il vit sans se douter des menaces de la secte d’Alba.

- Explique-moi ce qui se passe au juste, voyons!

- La secte vient d’introduire l’un de ses enfants dans cet orphelinat. Sa mission est de renseigner le chef de sa commune sur tout ce qui se dit entre les pensionnaires. On voudrait ainsi découvrir parmi ces garçons, l’identité de Pérignac.

- Ainsi, la secte ignore le nom du futur Pérignac?

- Elle sait que Paul-Émile Garçin est Pérignac. Mais l’un et l’autre ne sont pas le vrai nom de mon frère. Tu dois tenter d’interdire à cette secte d’influencer son petit espion puisque ce pauvre garçon est comme tant d’autres, animé par la peur de cette secte. C’est lui que tu dois sauver et non Pérignac. Mon frère ne risque rien si l’enfant de la secte accepte de ne plus obéir à cette commune de malheur qui s’est établie dans la région.

- Tu es le deuxième esprit qui me dit que la secte d’Alba cherche à établir une commune dans l’Outaouais. Je vais donc tenter de délivrer cet enfant qui doit souffrir terriblement de la peur puisque c’est par celle-ci que cette secte contrôle ses membres.

- Je dois te dire que mon frère est également malheureux puisqu’il lui arrive encore de faire pipi au lit malgré qu’il a déjà sept ans. Il se peut qu’il ressente malgré lui les effets négatifs de cette secte qui contrôle son petit espion.

- Comme tu sembles t’exprimer comme une grande personne, je vais te dire ce que mes Maîtres de l’invisible viennent à peine de me révéler sur ton frère. Il semblerait qu’il est déjà conscient qu’il écrira un jour une longue histoire fantastique. Pour l’obliger à rêver éveillé, mes Maîtres font en sorte de le sortir de son sommeil.

- En lui faisant faire pipi au lit?

- Je pense que c’est un secret qu’il ne faudra révéler à personne. De toute manière, ce petit truc pour le réveiller pendant la nuit ne durera pas longtemps. Mes Maîtres vont trouver d’autres façons de l’attirer progressivement vers cette forme de solitude qui l’incitera à écrire ce qu’il verra au fond de son coeur.

- Son inspiration ne viendra pas de sa tête?

- Non, son âme est arkarienne, ma petite. Il va donc penser avec le coeur et même se sentir toute sa vie comme un extra-terrestre.

Le joli fantôme s’éloigna après avoir embrassé le missionnaire sur les deux joues. La jeune défunte lui dit avant de disparaître à travers le mur d’un bâtiment quelconque du cimetière : “ J’ignore si tes Maîtres t’ont dit que des mythes t’attendaient déjà au Mont St-Joseph pour te seconder dans ta mission? À ta place, je ne tarderais pas à les rejoindre là-bas.”

Paichel comprit qu’il devait abandonner son poste comme fossoyeur afin d’aller rejoindre ses amis les mythes qui lui seront vraiment utiles dans les circonstances.

On doit sûrement se rappeler de la première aventure de notre missionnaire lorsqu’il se retrouva dans la forêt de Voirpou où des mythes furent délivrés de leur condition de termite par Paichel? On sait également que ceux-ci vivaient à présent sur le fantastique îlot intemporel de Mercéür, ou si vous voulez, de Fontaimé Denlar Paichel. Il faut croire que l’un des Grands-Maîtres du mont Intemporel demanda aux mythes de retourner sur Terre afin de seconder le missionnaire dans cette délicate intervention destinée à guérir un jeune pensionnaire de ses peurs atroces envers une secte diabolique. Le lieu de rendez-vous entre le voyageur de l’Intemporel et ses amis invisibles normalement se trouvait dans un joli parc public situé non loin du Mont St-Joseph.

C’est ainsi qu’un beau samedi du mois d’octobre 1956, notre homme marchait sans se presser dans le paisible parc de Rockliffe en parlant à des êtres invisibles qui tournaient autour de lui comme des papillons spirituels. Le mythe universel lui dit sans détour :

- C’est évident que tu ne pourrais entrer dans cette crèche sans un excellent prétexte. Mes confrères et moi pensons avoir découvert une façon très simple de t’y faire introduire après que nos amis les “mites” iront faire un petit tour dans cet orphelinat.

- Sacré-nom-d’un-chien, j’avoue que votre idée est vraiment géniale. Il va sans dire que si les mites s’attaquent aux vêtements des pensionnaires et des religieuses qu’il faudra vite trouver un exterminateur! Comme de raison, je serai celui-là.

- As-tu un plan pour nous permettre d’opérer une transformation dans l’esprit de ce pauvre garçon de cette secte locale?, demanda Herso, le mythe du héros.

- Pas exactement, lui répondit l’homme en se caressant la barbiche. Je préfère improviser selon les circonstances. Mais pourquoi parles-tu d’une secte locale? Comment sais-tu qu’une telle commune existe dans la région?

- Hum, je suis un mythe et comme tel, je connais l’origine de cette commune. Juste avant de venir ici, je me suis permis d’aller explorer les alentours du Mont St-Joseph. Lorsque je me suis rapproché d’un petit kiosque qui se trouve dans la cour de cet orphelinat, j’ai ressenti des vibrations très négatives qui datent vraisemblablement d’une période temporelle de six ou sept ans. Dans ce pavillon, je suis convaincu qu’il s’y pratiquait un rituel de la secte d’Alba. Malheureusement, j’ai également perçu la présence d’enfants vraiment apeurés par le contenu de ces messes noires.

- Je te crois sincère et j’espère seulement que de tels rituels ne sont plus pratiqués dans ce pavillon.

- Je peux t’assurer que le dernier culte à cet endroit y fut pratiqué vers la fin des années 1950. Par contre, il se peut que cela recommence si la secte d’Alba parvient à introduire plusieurs de ses enfants parmi les autres pensionnaires.

- Donc, c’est non seulement ce jeune garçon qu’il faut tenter de délivrer de cette secte, mais s’assurer qu’elle perde tout espoir de s’établir en permanence dans cette région.

- Oui Paichel, lui répondit le mythe avant de s’éloigner avec ses confrères afin d’aller rencontrer des vrais mites.

On ne saurait dire où ces bestioles furent recrutées par nos amis invisibles, sauf qu’elles furent nombreuses à s’introduire clandestinement à l’orphelinat en passant simplement par une large fenêtre du sous-sol. Leur mission : s’attaquer à tout ce qui pouvait se dévorer dans les armoires et tiroirs de l’institution. Les religieuses en virent bientôt le triste résultat lorsqu’elles découvrirent des trous dans les culottes, les chemises et les gilets des pensionnaires. Tant qu’aux gros trous dans les bas, il ne fallait pas accuser les mites, mais l’usage abusif de ceux-ci.

Devenues une véritable plaie qui risquait de ruiner les maigres revenus des religieuses, les bestioles blanches firent la preuve qu’il fallait sérieusement songer à s’adresser à un exterminateur avant que les enfants passent l’hiver tout nus! Comme de raison, notre missionnaire frappa à la porte principale un beau samedi matin afin de se présenter ainsi :

- Bonjour ma soeur, je suis Fontaimé Denlar Paichel, exterminateur d’insectes et d’animaux nuisibles. J’aimerais vous laisser ma carte d’affaire si un jour vous avez besoin de mes services.

- Mon cher monsieur, lui répondit soeur Elisabeth en joignant les mains, c’est le bon Dieu qui vous envoie au bon moment! L’institution est infestée de mites qui sont même parvenus à faire des trous dans les chandails que j’ai tricoté aux enfants pour Noël.

- Ah bon!

La nouvelle qu’un exterminateur venait d’arriver eu l’effet d’une bombe parmi les religieuses de cette crèche. En effet, elles venaient à peine de terminer leur prière à St-Joseph et la Sainte Vierge dans la jolie chapelle que leur voeu fut exaucé. Pour finir le plat, Paichel ne cessait de répéter à qui voulait l’entendre qu’il s’en retournait tout bonnement chez lui après s’être occupé d’un nid de guêpes dans les environs lorsqu’une force invisible l’obligea à s’arrêter à cet orphelinat. Cela fut suffisant pour que les soeurs grises l’accueillent à bras ouverts comme un présent du ciel. Notre homme pouvait circuler partout dans l’institution afin d’y déloger ces mites alliés. Sa méthode était simple mais efficace puisqu’il organisa une grande battue avec les pensionnaires qui trouvaient vraiment amusant d’aller à la chasse aux mites. En effet, divisés en petits groupes, les enfants se postaient en silence devant les hautes armoires remplies de vêtements et attendaient le signal de Paichel pour faire un bruit d’enfer en frappant sur les portes. L’exterminateur ouvrait rapidement celles-ci avant de secouer fortement les manteaux et autres vêtements forts bien rangés dans ces placards. Il attrapait ainsi des centaines d’insectes dans un petit filet. Il faut préciser que les bestioles l’aidaient grandement à faire son travail en se jetant d’elles-mêmes dans son piège. Le but n’était pas de fuir sa présence, mais de laisser croire aux religieuses que l’exterminateur était vraiment un expert dans ce domaine. Les mites se laissaient donc attraper par le missionnaire qui les libéraient ensuite à l’extérieur en leur disant joyeusement : “ Vous avez fort bien travaillé, mites de mon coeur! Vous pouvez retourner d’où vous venez à présent.” La majorité des bestioles retournaient dans leurs anciennes demeures, mais d’autres crurent que notre homme voulaient qu’elles retournent de nouveau dans l’institution. Elles croyaient bien faire en se logeant de nouveau dans les armoires.

Tout de même, ces chasses aux mites devenaient de véritables jeux pour les enfants qui riaient, sautaient, dansaient et qui tapaient surtout sur les nerfs de soeur Donald, responsable d’un groupe d’enfants âgés entre six et huit ans. Si soeur Élisabeth était aimée par ses petits, sa consoeur passait pour être une véritable matrone. Paichel le réalisa assez vite en voyant soeur Donald serrer les petits bras d’un garçon qui avait osé faire pipi dans sa culotte en jouant. Il se fit attirer dans un coin par cette religieuse qui prit soin de s’asseoir avant de lui introduire ses ongles dans ses biceps. L’enfant pleura discrètement pour s’éviter la risée de ses camarades. De telles pratiques faisaient aussi mal au missionnaire qui ne pouvait intervenir, qu’à cet enfant calmé d’une si étrange manière. Il fallait qu’il dise ensuite gentiment : “ Je ne recommencerai plus ma mère.” Avec une mère comme cette religieuse, se disait Paichel attristé, on n’avait vraiment plus envie d’avoir de parents!

L’exterminateur faisait un excellent travail bénévole et les religieuses en profitaient pour lui faire réparer la fournaise pour l’hiver, laver les vitres et même faire la lessive pour quelques dollars. Notre homme ne s’en plaignait pas du tout puisqu’il devint, en quelques jours, le grand ami de tous les pensionnaires. L’homme devait répondre à leurs nombreuses questions concernant son métier et même sur ses cheveux : “M’sieur, pourquoi avez-vous perdu presque tous vos cheveux?” Notre homme s’amusa à répondre qu’il avait grandi trop vite et que, malheureusement pour lui, son crâne passa par-dessus ses cheveux. Les enfants lui demandèrent s’il avait des enfants, mais le missionnaire leur dit d’un air attristé : “ Je voyage beaucoup et je n’ai pas eu l’occasion de me marier.” L’attitude des pensionnaires était franche et amicale, surtout depuis qu’ils apprirent que Paichel se disait lui-même orphelin de naissance. L’un des garçons devint d’ailleurs le meilleur ami de ce grand clochard du moyen âge. Il avait pour nom, Jean-Yves Otis. C’était un petit débrouillard, un inventif et le genre à diriger un groupe. Il avait sa “petite bande” et prenait souvent les punitions à son compte afin de protéger ses amis. Il n’était pas un petit “dur”, mais plutôt un vrai “futé” pour tromper la vigilance de la matrone du dortoir lorsqu’il fuguait régulièrement au sous-sol de l’institution pour y piquer des boissons gazeuses dans une glacière strictement réservée aux religieuses.

Un après-midi, un pensionnaire se rapprocha craintivement de Paichel pour l’observer d’un air méfiant. L’homme à la barbiche fit semblant de ne pas remarquer sa présence puisqu’il se doutait bien que Julien cherchait à l’épier dans le but d’en informer un couple qui venait régulièrement le visiter en se faisant passer pour ses parents adoptifs. Donc, lorsque ce pensionnaire s’approchait, le missionnaire s’assurait de ne pas dialoguer avec les mythes qui le suivaient partout en demeurant invisible. Ce jour-là, le garçon se mit à crier comme un désespéré dès qu’il se retrouva devant le missionnaire alors occupé à réparer l’une des portes du dortoir. Il se mit à fuir ensuite dans un corridor afin de se jeter dans les bras de soeur Élisabeth en pleurant à chaudes larmes.

- Je n’ai rien fait, mère, pour qu’il me gifle derrière la tête quand je suis passé devant lui.

- Allons mon enfant, va rejoindre tes camarades pendant que j’irai parler à monsieur Paichel.

Le garçon s’éloigna en se frottant la nuque d’un air hypocrite. C’est évident qu’il mentit à cette religieuse dans le but de discréditer cette homme qu’on allait sûrement mettre à la porte pour avoir osé frapper un pensionnaire. Mais soeur Élisabeth fut moins naïve que l’aurait supposé Julien puisqu’elle dit à cet homme au regard pacifique:

- Julien ne semble pas trop vous aimer pour inventer de telles mensonges, vous savez!

- J’aimerais pouvoir vous répondre, ma soeur et vous expliquer les raisons qui poussent ce garçon à souhaiter mon départ de votre institution.

- Ainsi, Julien craint votre présence à cause de ses parents adoptifs, n’est-ce pas? Vous seriez un genre de policier ou enquêteur?

- Que voulez-vous dire ma mère?

- Mais simplement que je suis au courant de certaines choses qui concernent les parents de Julien.

- Pas très catholique, n’est-ce pas?

- Je n’ai pas le droit de juger ces gens-là, mais je prie tous les soirs pour l’âme de ce garçon.

- Mère Élisabeth, il faut me dire ce que vous savez sur eux si vous tenez à aider Julien. Ne croyez surtout pas que je puisse détester un enfant qui me veut du mal depuis que je suis dans votre institution. Il désire seulement m’éloigner depuis qu’il sait que je pourrais nuire aux adultes qui le manipulent comme une marionnette.

- Croyez-vous aux sectes sataniques monsieur Paichel?

- Je crois surtout qu’il existe des malades dangereux qui jouent avec les puissances du mal pour contrôler leurs fidèles. Julien est malheureusement victime de ces gens-là. Voilà, je viens de vous répondre pourquoi ce garçon se sent obliger de me détester. Il sait parfaitement que ses parents craignent mes dons de perception.

- Monsieur Paichel, ce n’est donc pas à cause des mites que vous demeurez ici?

- Pour tout dire, ils servent uniquement de prétexte pour me faire accepter dans votre institution.

- J’admire votre franchise. Je pense que je peux vous expliquer mes craintes puisque vous semblez au courant des profanations qui eurent lieu ici à notre grand désespoir.

- Vous voulez parler des rencontres nocturnes dans le pavillon, n’est-ce pas?

- En effet, nous ignorions à l’époque que bon nombre de nos pensionnaires étaient les enfants d’une secte satanique de la région d’Ottawa. La nuit, nous dormions si profondément qu’on aurait pu nous battre sans parvenir à nous réveiller. C’est évident que quelqu’un s’amusait à nous droguer à notre insue. Quoi qu’il en soit, nous dormions si profondément que les fidèles de cette secte pouvaient entrer dans les dortoirs et en sortir pour conduire leurs enfants dans le pavillon. Je pense qu’ils profitèrent également de d’autres pensionnaires, mais cela n’a jamais été prouvé. Une nuit cependant, l’une des religieuses se réveilla, suite à une nausée terrible. Elle régurgita sans nul doute cette drogue avant qu’elle fasse son effet. Soeur Yolande tenta de nous réveiller sans y parvenir et se rendit dans les différents dortoirs pour constater la disparition de plusieurs enfants. C’est elle qui découvrit malheureusement les monstruosités physiques et sexuelles dans le pavillon. Elle courut en robe de nuit jusqu’au poste de police et plusieurs membres de cette secte furent arrêtés avant de pouvoir fuir comme cet ancien religieux qui fut leur gourou.

- Pouvez-vous me donner son nom, ma soeur?

- On a toujours refusé de me le dire pour des raisons sécuritaires. La police poursuivit discrètement son enquête et le clergé en fit autant de son côté afin de savoir si ce gourou était un prêtre, un frère ou un simple laïc qui se fit passer pour tel.

- Il semble bien que cette secte voudrait reprendre ses activités dans cette institution, mère Élisabeth. J’aimerais pouvoir éviter un nouveau désordre en m’occupant personnellement de ce jeune garçon.

- Mais vous n’êtes pas un prêtre pour l’exorciser, vous savez!

- Oh, je n’ai nullement l’intention de prendre la place d’un exorciseur, ma soeur. Mais si vous me laissez faire, je pense pouvoir prouver à Julien qu’il perd sa vie en demeurant le petit espion de cette secte.

Paichel retourna dans la grande salle de séjour des pensionnaires de soeur Donald pour voir son ami Jean-Yves Otis occuper ses camarades en imitant les terribles colères de soeur Donald duck. C’est ainsi qu’il surnommait cette religieuse au regard glacé. Heureusement pour lui, soeur Donald s’était absentée quelques minutes pour aller reconduire l’un de ses protégés à l’infirmerie. Il en profita donc pour dresser sa main droite devant ses copains pour les gronder comme le ferait la religieuse : “ Toi mon Louis, tu n’iras pas au parc de Rockliffe dimanche si je trouve des traces brunes dans ton caleçon. Et toi, Raymond Bérubé, fais-moi voir tes talons s’ils sont encore noirs de crasse! Paul-Émile, es-tu trop plein de soupe pour courir après le ballon?” Le jeune imitateur attira malgré lui un rude reproche de la part de Julien lorsque celui-ci remarqua que Jean-Yves pointait ses camarades en se servant de son index et du petit doigt. Il lui cria craintivement : “ Cesse de nous pointer en imitant les cornes du diable si tu ne veux pas qu’il nous apparaisse cette nuit.” Vraiment apeuré, le garçon fuit vers le dortoir en sanglotant. Jean-Yves se fixa craintivement la main pour remarquer que la position de ses deux doigts ressemblait à une corne. Mais, il n’était pas certain que ce signe pouvait attirer le diable comme le prétendait cet étrange Julien. Il faut dire que ses camarades ne l’aimaient pas du tout et qu’ils refusaient la compagnie d’un petit bavard qui rapportait tout à soeur Donald dans le but de se faire aimer au moins par elle. Tout de même, comment allait-on expliquer à la soeur cette crise d’hystérie de Julien? Paichel rassura Jean-Yves en lui disant qu’il ne voyait rien d’anormal à pointer quelqu’un de cette façon. Ce qui le dérangeait et, sans le dire à Jean-Yves, c’était de constater qu’un simple symbole comme celui-là puisse mettre ce pauvre Julien dans tous ses états. Il devait sûrement l’associer à un symbole diabolique ayant un pouvoir d’agir comme une force mystérieuse. Le jeune superstitieux vivait dans une sorte de crainte perpétuelle des forces du mal.

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